Discours

Discours Jean-Philippe Gille, 53e Assemblée Générale, 7 juin 2023

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Discours de Jean-Philippe Gille, Président de l’AFJE

53e assemblée générale – mercredi 7 juin 2023

 

Mesdames et Messieurs,

 

Permettez-moi d’abord de vous souhaiter la bienvenue à l’occasion de cette 53e  assemblée  générale de l’AFJE. Nous tous ici, représentons, dans nos métiers et fonctions respectives, une partie importante de l’écosystème juridique de notre pays. C’est l’attrait de ce moment convivial.

 

Nous retrouver ensemble est essentiel, car au-delà du plaisir de revoir les visages connus ou d’en découvrir de nouveaux, les liens que nous cultivons en cette occasion sont porteurs d’une construction, celle d’une communauté de femmes et d’hommes de droit qui veulent avancer.

 

Soyez-en chacune et chacun, chaleureusement remercié.

 

Permettez-moi maintenant d’être plus solennel.

 

En effet le moment est important : ce jour a commencé la lecture de la loi de programmation de la Justice au Sénat. Un amendement sur la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, a été déposé ce lundi 6 juin : tout un symbole !

 

Ma conviction est que nous avons trois raisons positives d’espérer.

 

Première raison: la question de la confidentialité des avis des juristes, est définitivement sortie du champ stérile des corporatismes. Tous comprennent que les enjeux sont d’une nature plus haute qui questionne notre souveraineté économique et notre rapport à l’état de droit. 

 

Chacun comprend qu’un Etat moderne, qui fixe des exigences en matière de conformité doit permettre à ceux qui ont la charge de leur mise en place juridique, de pouvoir le faire avec la garantie de la confidentialité. 

 

Il ne peut y avoir de conformité sans confidentialité !

 

Le choix d’une confidentialité in rem, attachée au document, est désormais ancrée dans les esprits, ce qui écarte la création d’une nouvelle profession réglementée. 

 

Ainsi les juristes d’entreprise continueront à traiter le droit dans le périmètre de l’entreprise, les questions juridiques relevant de l’activité de celles-ci, avec un régime de confidentialité adapté. 

 

Ainsi les avocats continueront à intervenir auprès des entreprises et des particuliers avec leur secret professionnel.

 

Il n’y a pas d’incompatibilité.

 

Deuxième raison: pour la première fois, dans notre histoire, un texte, relatif à la confidentialité des écrits des juristes d’entreprise a été élaboré à la Chancellerie. Je tiens ici à saluer le travail de services de Monsieur le Garde des Sceaux. Ce texte, issue d’un véritable travail d’intelligence collective avec les avocats –- a circulé auprès de nombreuses institutions. Etrangement, il n’a jamais été rendu public. De même il n’a pas été intégré dans le projet de Loi de programmation. Pourtant les Etats Généraux de la Justice en avait largement reconnu et fonder la nécessité. Pour quelle raison étrange, ne me le demandez pas, le mystère reste entier…et fera un jour l’amusement à n’en pas douter de quelque chroniqueur ou historien.

 

Ce qui compte en définitive, c’est que de ce texte initial, par un étrange enchaînement de circonstances dont seules les arcanes de la politique ont le secret, un amendement a surgi qui devrait être apporté à ladite loi. 

 

Légistique oblige, le texte est beaucoup plus synthétique. Ne m’en demander pas non plus la genèse, c’est confidentiel ! Tout ce que je peux vous certifier, c’est qu’il n’a pas été généré par une intelligence artificielle…

 

Qu’il faille l’améliorer, qu’il ne soit pas suffisant pour certains, trop général pour d’autres, chacun peut y projeter son optimisme ou ses craintes. 

 

Je suis partisan personnellement d’une perspective plus globale, celle d’un franchissement décisif, d’une rupture salutaire avec tant d’années d’atermoiements. 

 

Le sujet est maintenant au Parlement, c’est un grand pas.

 

Troisième et dernière raison: pour les juristes d’entreprise, cette énième saison de la saga de la confidentialité, pourrait avoir pour titre, la « famille rassemblée »

 

En effet, jamais auparavant, l’AFJE et le Cercle Montesquieu n’avaient travaillé aussi étroitement, sachant partager la même vision et se compléter dans l’action. 

 

Je tiens à remercier très sincèrement Laure Lavorel et Martial Houlle, Présidente et Président du Cercle Montesquieu.

 

Tout en respectant nos ADN respectives, les associations de juristes d’entreprise savent avancer ensemble. Notre invitée, Céline Haye-Kiousis, Présidente de l’ANJB qui prendra la parole à l’issue mon propos aura l’occasion de l’exprimer.

 

 

  • Un choix clair pour une confidentialité souple, in rem, adaptée au droit dans l’entreprise ;
  • Un premier texte qui lui est dédié au Parlement ;
  • La conscience d’une communauté professionnelle riche de sa diversité et unie par son destin. 

 

Oui, je le crois, pour ces trois raisons, le moment est important 

 

Il ne l’est pas seulement pour les juristes d’entreprise.

 

En vérité, ce moment est important pour toute la filière juridique de notre pays et vous concerne aussi. 

 

Il y a en effet beaucoup à accomplir ensemble au sein de notre écosystème pour le rendre à la fois plus efficace et plus attractif.

 

Un écosystème plus efficace d’abord :

 

L’environnement économique va être de plus en plus régulé en raison des enjeux majeurs liés à la transition climatique et à la révolution digitale.

 

Les juristes d’entreprise vont être de plus en plus sollicités dans leur rôle d’intermédiation entre ces nouvelles régulations et l’entreprise. 

 

La reconnaissance de la confidentialité de nos avis est simplement consubstantielle à cette fonction que le législateur nous assigne en développant les normes de conformité.

 

Il y aura dès lors davantage besoin de s’appuyer sur la valeur ajoutée des avocats dans des domaines à la fois de plus en plus pointus et de plus en plus générateurs de risques. L’essor des contentieux climatiques en est la manifestation topique, et ce n’est qu’un début. Ne l’oublions pas, le marché du droit est un marché de prescriptions.

 

Il y sera aussi de plus en plus nécessaire de renforcer, notamment sur le plan de la formation, l’hybridation de la pratique du droit dans l’entreprise avec celle des magistrats

 

Aujourd’hui, les juristes sont de plus en plus nombreux, en interne, à instruire des procédures d’alerte, à participer aux comités d’éthiques ou de conformité et à rendre des décisions incluant des recommandations de sanctions disciplinaires.

 

Les entreprises sont en train de générer leur propre jurisprudence. Comment le faire de manière adaptée, comment gérer l’interface avec l’action publique ? Ce n’est pas un hasard si les directions juridiques commencent à compter dans leur rangs des magistrats. Le besoin est là et se développe.

 

Chère Madame Roret, je pense qu’il y a là une perspective à relever avec la prestigieuse école que vous dirigez. 

 

Ce serait l’occasion pour les magistrats d’appréhender autrement le monde de l’entreprise et le rôle du juriste d’entreprise.

 

L’entreprise est encore trop souvent l’objet d’une vision caricaturale. 

 

La réalité est que l’entreprise s’adapte aux contraintes du marché, apprend en avançant et doit savoir prendre des risques pour se développer. Le rôle du juriste d’entreprise n’est pas d’encourager d’éventuels comportements déviants, mais bien de permettre à l’entreprise d’avancer en tenant compte des règles du jeu, inscrites dans notre Droit. 

 

De nombreux pays considèrent d’ailleurs que les juristes d’entreprise sont, par leur fonction, des auxiliaires de la Justice. Le regard des magistrats sur le juriste d’entreprise doit évoluer car notre métier évolue.

 

Probablement parce que nous n’avons pas assez insisté, les pouvoirs publics n’ont pas encore perçu dans leur réflexion sur l’organisation du système judiciaire, le rôle de prévention des juristes d’entreprise. 

 

Ainsi la Justice pourrait compter sur 20 000 professionnels garants de l’application de la règle de droit dans l’entreprise, permettant ainsi au personnel judiciaire de concentrer ses ressources humaines sur ses priorités. Au moment où l’allocation des moyens pose question, il me semble que l’effet de levier ne serait pas neutre. Les juristes d’entreprise sont ouverts à cette réflexion avec le Gardes des Sceaux.

 

Monsieur le Ministre, l’invitation est lancée.

 

Ainsi une communauté de juristes d’entreprise renforcée par la confidentialité de ses avis, est à la fois la promesse du développement du marché pour les avocats et la possibilité d’une contribution à l’effort qui doit être consenti au service public de la Justice dans un Etat démocratique moderne.

 

J’en termine, rassurez-vous, avec le dernier point de mon propos : un écosystème plus attractif.

 

La reconnaissance de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise est un point de bascule.

 

S’il ne l’adopte pas, le législateur encouragera en réalité les entreprises étrangères à renoncer à implanter leur direction juridique en France. 

 

Et les entreprises françaises pour leur part ne pourront les maintenir longtemps en France. Il suffira du « dawn raid » de trop, de la saisie de la consultation juridique de trop, pour qu’elles réagissent avec une rapidité qui alors surprendra tout le monde. Car ne nous y trompons pas, les entreprises sont promptes à s’adapter dès que la situation l’impose. Toutes ne partiront pas, mais la filière juridique française en sera néanmoins très affaiblie à un moment clé de son évolution.


A l’inverse, si le législateur reconnait aux juristes d’entreprise la confidentialité de leurs avis, il permettra le maintien et le renforcement des directions juridiques dans le Pays.

 

L’impact pour l’emploi de la filière des métiers du droit est considérable. 

 

Nous observons en effet que dans cette période qualifiée de « guerre des talents » que nous connaissons, c’est toute la filière juridique - magistrat, avocats, juristes d’entreprise et tous le autres métiers juridiques – qui est déjà en tension.

 

A l’analyse des aspirations des générations Z et Alpha, nous avons grandement intérêt à réfléchir ensemble et rapidement à la manière de préserver l’attractivité de la filière du droit. 

 

L’attractivité d’un métier n’est plus seulement une simple question financière, mais aussi de recherche d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et privée, de rapport au temps à la l’espace de travail, voire, même, d’une vision ludique de l’expérience professionnelle, sans oublier une forme d’anxiété de l’avenir qui vient troubler la capacité de se projeter avec confiance dans une carrière. 

 

Il est de notre responsabilité de les aborder de front et de les intégrer si nous voulons maintenir une société bâtie sur l’état de droit.

 

Ce n’est pas un défi simple, mais il est primordial et passionnant. Je suis certain qu’ensemble nous pouvons imaginer des solutions. 

 

Pour cela la filière doit pouvoir s’appuyer sur une communauté de juristes d’entreprise forte et implantée en France pour relever ces défis.

 

Je vous remercie et je cède la parole maintenant à Celine Haye-Kiousis, Directrice juridique et Présidente de l’Association nationale des Juristes de banques.

 

 


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