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Il y a 150 ans : naissance du droit local !

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Qu’est-ce que le droit local alsacien-mosellan ? Pour certains, ce seraient simplement des dispositions allemandes maintenues en vigueur en Alsace et Moselle après leur retour à la France en 1918, donc un legs figé dans l’histoire. Nous en avons une vision plus vivante et plus originale. 

Par Jean-Marie Woerhling

Le droit local, ce sont toutes les dispositions particulières aux territoires alsaciens et mosellans, composant pour ceux-ci un véritable pluralisme juridique, principalement francoallemand, illustrant l’histoire et l’identité particulière de notre région. Si l’on retient cette compréhension du droit local, le droit local est né en 1871 avec le transfert de territoires alsaciens et lorrains sous souveraineté allemande. Ce transfert a été consacré par le traité de Francfort du 10 mai 1871. Mais l’application de dispositions juridiques distinctes a commencé pour les territoires occupés dès la création du "Gouvernement Général" chargé de les administrer. Un statut particulier leur a été conféré par la loi allemande "de réunion" du 9 juin 1871. Jusqu’à la guerre de 1870, il n’existait ni Alsace, ni Lorraine, mais seulement des départements ayant tous le même statut. À partir de 1871, s’appliqueront dans les territoires occupés puis intégrés dans la souveraineté allemande plusieurs catégories de législations : 

• l’essentiel du droit français maintenu en vigueur dès lors qu’il n’était pas regardé comme incompatible avec la souveraineté allemande ; 

• des dispositions propres au territoire devenu Reichsland / terre d’Empire ; 

• des dispositions applicables dans l’ensemble de l’Empire allemand, comme le code pénal allemand. 

Ce triptyque allait se maintenir jusqu’en 1918 et au-delà. Il caractérise encore aujourd’hui le droit local : celui-ci comporte des textes juridiques d’origine française d’avant 1918 comme ceux composant le statut local des cultes statutaires, des textes issus de la législation propre au Reichsland tels que le droit communal, et des textes correspondant au droit allemand applicable dans l’ensemble du Reich. Depuis le retour sous souveraineté française, s’y rajoute une catégorie supplémentaire : les lois propres à l’Alsace-Lorraine adoptées par le Parlement français, par exemple les textes relatifs au régime local d’assurance-maladie. Ce qui caractérise ce plurijuridisme, ce n’est pas la nature des textes : durant la période allemande, tous les textes applicables dans le Reichsland relevaient de la légalité allemande, de même que depuis 1919, tous les textes applicables en Alsace et Moselle relèvent de la légalité française, quels que soient leur origine, leur inspiration, leur auteur ou leur mode d’édiction, voire leur langue.

Néanmoins, la généalogie diverse des textes de droit local ne peut être ignorée pour leur analyse et leur compréhension et peut soulever de nombreux problèmes de détermination du droit applicable, d’interprétation et de combinaison. Cette complexité et ce particularisme ont donné naissance à partir de 1871 à une culture juridique tout à fait particulière et d’une réelle richesse : l’Alsace-Lorraine d’après 1871 a connu de grands juristes de tradition allemande qui ont étudié le droit français puisque ce dernier y restait pour une large part encore en vigueur, tandis que l’Alsace Lorraine d’après 1918 a connu de grands juristes de tradition française qui se sont penchés sur le droit allemand puisque celui-ci y demeurait pour une part non négligeable encore applicable. Malheureusement cette double culture juridique franco-allemande s’est progressivement essoufflée après la 2e guerre mondiale. Il n’en reste aujourd’hui que des traces et c’est l’une des explications de l’appauvrissement progressif du droit local.

Jean-Marie Woehrling est président de l’Institut du Droit local alsacien-mosellan. Rens. : https://idl-am.org


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