Premiers pas en entreprise : témoignages de jeunes juristes
Premiers pas en entreprise : pas de stupeur mais quelques tremblements
Un métier passionnant ! Des missions intéressantes ! Les jeunes juristes interrogés ne tarissent pas d’éloges sur la dimension stimulante de leur poste. Mais l’arrivée en entreprise donne lieu à des ressentis plus nuancés, faute parfois d’une bonne intégration. Ou d’une confiance trop mesurée. Le vrai péril réside toutefois dans le manque de proactivité du débutant.
Par Florence Leandri
Il est des arrivées en entreprise qui débutent mal, voire très mal mais qui, par la volonté du nouvel arrivant et de son manager, se révèlent enrichissantes et stimulantes. « Mon entrée en stagebfut intense, se remémore Timothé Bonnaud, juriste droit public chez Veolia Eau. J’ai vu mon maître de stage une demi-journée avant son arrêt maladie suivi d’un congé maternité. Je me suis retrouvé en frontal sur des dossiers, accompagné par celui qui de N+2 était devenu mon N+1. J’ai vécu un stage qui n’était pas un stage ! » D’ailleurs au bout de deux mois il s’est transformé en CDD. Depuis Timothé Bonnaud s’épanouit dans ses missions.
Cette histoire relève de l’extraordinaire et tous les premiers pas en entreprise ne s’avèrent pas aussi difficiles. Dans le sondage mené par les Jeunes Juristes de l'AFJE, ils ne sont que 14 % à les avoir trouvés compliqués, avec une période d’adaptation plus longue qu’anticipée. Pour la grande majorité d’entre eux (62 %), ils furent exigeants, pour être pleinement opérationnels. Et pour les 22 % restants, fluides car bien préparés.
De l’importance du parcours d’intégration
À l’instar de Victoire Julien, legal counsel chez GXO qui relate une intégration idéale : « ma première expérience en entreprise en tant que stagiaire s’est déroulée dans une grande société internationale, où la direction juridique était structurée. Idem lorsque je suis devenue salariée. Et, dans les deux cas, j’ai été considérée comme une junior avec ce que cela suppose d’accompagnement par un jeune manager qui a su me faire évoluer vers une quasi-autonomie. J’ai bénéficié d’un parcours construit avec une présentation du fonctionnement de l’entreprise et des rencontres formalisées avec les différentes fonctions en France, dont les commerciaux. »
Denis Letrichez, responsable des Jeunes Juristes de l’AFJE et legal counsel capital markets chez Amundi, se souvient d’une entrée en entreprise sous le sceau de la découverte : « je suis arrivé en CDD chez BNP Paribas, dans un secteur d’activité et une matière, le droit financier, dont j’avais tout à apprendre. Mon intégration était d’ordre pragmatique : ce n’était pas un parcours d’apprentissage mais une initiation destinée à me faire atteindre rapidement une efficacité opérationnelle. Le reste, ce qui n’était pas jugé comme nécessaire avec l’objectif, m’a été transmis par d’autres jeunes présents depuis plus longtemps que moi ». Son expérience suivante, chez Natixis, lui a laissé une impression plus positive : « ce fut une très bonne intégration, avec des formations et des points réguliers, coordonnée par un membre de l’équipe pressenti pour être promu sur un poste de head of legal practice et qui devait, pour être confirmé, faire la démonstration de ses capacités de formateur. » Une formule que Denis Letrichez garde en tête car « tout le monde, débutants et futur expert certifié, en a tiré des bénéfices et de la motivation ».
La découverte d’un métier enrichissant, la confiance à conquérir
« Ce qui m’a le plus surpris, c’est l’intérêt intellectuel du métier, en soi mais aussi comparé à mes stages auprès d’avocats et de juges, rapporte Timothé Bonnaud. Je suis spécialisé en droit public mais je touche aussi au droit privé et au droit de la construction. » Amélie Petion, mention spéciale du prix Maurice Bensadoun 2024, et récemment embauchée au sein du groupe Fnac Darty comme juriste en négociation et techniques contractuelles, le constate déjà : « il faut une connaissance large pour cerner toute une opération et notamment ses risques. La polyvalence est très importante, plus que je l’imaginais et c’est donc très instructif. »
Pour Victoire Julien, la découverte du métier a tout changé : « comme beaucoup, je voulais devenir avocate mais mon expérience en tant que juriste d'entreprise stagiaire a été révélatrice d’une autre vocation. » Pour bien débuter, la confiance est essentielle. « En raison du départ précipité de mon maître de stage, j’ai pu très rapidement faire mes preuves et bénéficier de la confiance de l’équipe, apprécie Timothé Bonnaud. Mon chef ne m’a pas cantonné à un rôle d’exécutant : j’ai pu prendre des décisions sur des dossiers. Cela a développé mon implication et mes compétences. Je n’ai pas compté mes heures ! »
Les cas les plus fréquents sont tout de même ceux où la confiance se construit peu à peu : « dans un premier emploi, la confiance accordée tient avant tout au fait que les missions sont très circonscrites : on commence par générer les contrats par ordinateur, puis on les rédige par soi-même, décrit Denis Letrichez. Au deuxième poste, les attentes sont plus fortes quant à la complexité des sujets à traiter, l’autonomie, les responsabilités… La richesse des expériences que l’on a su accumuler influence directement le regard des autres et le niveau de confiance qu’ils nous témoignent. »
Être proactif pour enrichir son poste
« Tout jeune professionnel du droit doit s’attendre à être confronté à des difficultés lors d’une prise de poste en entreprise, relève Denis Letrichez. L’université apporte une solide formation théorique, mais les aspects pratiques tels que les process, la culture d’entreprise et la gestion des relations professionnelles n’y sont pas abordés. » Pour faciliter cette transition mais aussi pour se doter d’une posture qu’ils estiment utile en entreprise, tous les interviewés ont le même réflexe à partager : être proactif. Dès les études. En allant chercher les informations lors des salons étudiants, en multipliant les expériences professionnelles et… en adhérant à l’AFJE! Mais tous en conviennent, les stages longs en entreprise sont durs à obtenir.
Une difficulté surmontable avec un brin d’agilité et de sens de l’initiative. Ainsi, « les stages en cabinet ou en juridiction, plus nombreux, trouvés souvent par bouche à oreille, constituent une étape d’apprentissage qui aide à intégrer les codes professionnels attendus, tout en enrichissant le CV pour la prochaine phase : le stage en entreprise », remarque Victoire Julien. Sans oublier « les stages ou les petits boulots en entreprise, même sans lien avec le juridique, qui forgent des connaissances, estime Denis Letrichez. Le juriste se professionnalise ainsi bien plus vite. »
Timothé Bonnaud, désormais en position de recruteur pour un stage, s’étonne de voir des CV sans aucune d’expérience : « Il n’y pas de mention d’implication en association, de jobs d’été ou même de mémoire ». Cela peut s’expliquer par des oublis ou des manques d’opportunité. Pour Timothé Bonnaud c’est aussi « un manque d’initiative qui se traduit, une fois en poste, par de l’attentisme et alors le métier de juriste d’entreprise ne sera pas stimulant ». La proactivité semble être le mot d’ordre à retenir pour les premières années en entreprise et si l’impétrant l’adopte alors sa position de juriste sera vraiment celle d’un partenaire. D’abord parce que « la relation avec les autres fonctions, notamment les opérationnels, est assimilable à un sport d’équipe où chacun à sa place veille à ce que l’on aille jusqu’au bout, partage Timothé Bonnaud. Le commercial doit vendre quelque chose, ma contribution est de veiller à ce que cette vente reste rentable. » Mais aussi parce qu’« en entreprise, il est assez rare que tous les process imposent de passer par le juridique, estime Timothé Bonnaud. C’est en créant sa clientèle interne que l’on parvient à s’impliquer sur les dossiers intéressants et à devenir un business partner. Dépasser la posture de gardien du temple auquel on peut avoir la tentation de se limiter est très important. » Cet état d’esprit, ce sens de l’initiative, est impératif pour des premières années en entreprise à la hauteur des attentes formulées.
« Car juriste d’entreprise est un métier passionnant, poursuit Timothé Bonnaud, où j’apprends beaucoup : en comptabilité, en finance, en commerce, mais aussi sur les techniques et politiques de gestion de l’eau et de l’assainissement. Et toutes mes analyses juridiques se mêlent à ces connaissances. » Cet « apprentissage au quotidien qui dépasse le juridique » c’est aussi ce que retient Victoire Julien de ses missions, rejoint en cela par Denis Letrichez pour qui « le juridique représente 60 % de notre temps de travail ». Et Victoire Julien de conclure : « notre client, c’est l’entreprise. La multiplicité des échanges au quotidien, avec la direction générale, la direction financière, les fonctions opérationnelles est donc essentielle et permet au juriste de prendre sa vraie place, celle d’un contributeur à la stratégie de l’entreprise. »
Qu'est-ce que les jeunes juristes apprécient dans leur poste ? 1) Les missions confiées 2) L’autonomie, les responsabilités, la prise d’initiative 3) La possibilité de développer la polyvalence 4) La mise en pratique des connaissances 5) La possibilité de participer à des projets transversaux 6) Les relations avec les clients internes 7) Le respect de l’équilibre vie pro/perso Source : sondage mené par les Jeunes Juristes de l'AFJE entre octobre et mi-novembre 2024 ; 98 participants |