Pourvoi en cassation : quel rôle pour le juriste d'entreprise ?

Le webinaire Les essentiels de la cassation, organisé par les commissions AFJE Droit de l'immobilier et Droit public des affaires et animé par Marie-Paule Melka, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avait pour ambition de rendre plus lisible et accessible la procédure de cassation, souvent perçue comme complexe, notamment pour les juristes d’entreprise. Il s’agissait de démystifier les enjeux, les mécanismes et les rôles respectifs des différents acteurs dans cette ultime phase contentieuse. 

L’objectif de ce webinaire était double : d’une part, permettre aux juristes d’appréhender les grands principes de la cassation – devant la Cour de cassation comme devant le Conseil d’État – et d’autre part, souligner leur rôle fondamental dans cette procédure. En effet, mieux comprendre le fonctionnement des juridictions, les moyens de cassation et les marges d’action possibles permet une implication plus stratégique et active.

Les bonnes raisons d’introduire un pourvoi


Un pourvoi en cassation peut être envisagé pour plusieurs motifs :

  • corriger une erreur de droit ou une mauvaise qualification juridique,
  • préserver un enjeu financier conséquent,
  • créer un levier de négociation dans le cadre d’un contentieux plus large (notamment en matière d’urbanisme),
  • ou encore obtenir une clarification jurisprudentielle sur un point de droit nouveau.

Le rôle stratégique du juriste d’entreprise


Souvent relégué à l’arrière-plan une fois le contentieux entre les mains des avocats, le juriste d’entreprise est pourtant un acteur-clé du dossier. Sa connaissance fine des faits, du contexte politique ou économique, et des enjeux internes à l’entreprise, constitue une ressource précieuse pour l’avocat aux conseils. Il est en mesure de contextualiser l’affaire, d’orienter l’argumentation, de nourrir le mémoire, et de participer pleinement à la stratégie contentieuse. Il faut rappeler que l’entreprise demeure le client : elle peut choisir l’avocat aux Conseils, participer aux échanges, et faire valoir sa vision du dossier.

Ce que le juge de cassation peut (ou ne peut pas) contrôler


Le cœur de la cassation repose sur la distinction entre trois types d’éléments :

  • Les faits, qui échappent au contrôle sauf en cas de dénaturation manifeste ;
  • Le droit, toujours contrôlé, qu’il s’agisse d’une erreur d’interprétation ou de violation de la norme ;
  • La qualification juridique des faits, qui n’est contrôlée que dans certains cas prévus par la jurisprudence.

Il est donc essentiel de savoir dès le départ si le litige relève ou non de l’office du juge de cassation, afin d’éviter des pourvois voués à l’échec.

Conseil d’État et Cour de cassation : quelles différences dans la procédure ?


Même si ces deux juridictions suprêmes remplissent des fonctions similaires, leurs pratiques diffèrent sensiblement

La Cour de cassation met en œuvre une procédure contradictoire dès le dépôt du pourvoi et un rapport sur le dossier est transmis aux parties avant l’audience. À l’inverse, le Conseil d’État procède d’abord à une phase d’admission non-contradictoire, et la sélection est assez rigoureuse (moins de 30 % des pourvois sont admis). Les parties n’ont accès, en amont de l’audience, qu’au sens des conclusions du rapporteur public.

Autre différence : la Cour de cassation n’examine que les faits figurant dans l’arrêt, quand le Conseil d’État, qui dispose du dossier, peut aller plus loin dans l’analyse.

La consultation préalable : un investissement stratégique


Une consultation préalable peut représenter jusqu’à 80 % du travail requis pour un pourvoi. Elle permet de mesurer les chances de succès du pourvoi, sans pour autant fournir une certitude sur l’issue du recours (sauf de rares cas). Une tendance peut être dégagée, vers une cassation ou un rejet, tel un nuancier « entre gris clair et gris foncé ». La consultation est également indispensable pour anticiper les risques liés à un éventuel pourvoi incident, notamment dans les cas de succès partiels.

En conclusion


La cassation n’est pas un territoire réservé aux spécialistes. Les juristes d’entreprise y ont toute leur place. Non seulement pour mieux comprendre les ressorts du contentieux, mais surtout pour reprendre la main sur leurs dossiers et apporter une valeur ajoutée concrète à la stratégie contentieuse. La collaboration étroite entre juriste, avocat à la cour et avocat aux Conseils est la clé d’une procédure de cassation bien maîtrisée.


Publié le 04/07/2025