L’influence, tout un art !
Gagner en influence, qu’est-ce que cela signifie pour les juristes d’entreprise ? Comment y parvenir ? Isabelle Eray et Sarah Leroy ont exploré ce vaste sujet lors d’un atelier du CAMPUS AFJE 2018 consacré à l’art de l’influence pour le juriste, dont voici un résumé.
Par Carine Guicheteau
Selon le Larousse, l’influence consiste en une action continue qu’exerce une personne sur d’autres. C’est le pouvoir social qui permet à quelqu'un ou à un groupe d'agir sur le cours des événements et des décisions prises. « Pour un juriste d’entreprise, l’influence sert à être inclus en amont des dossiers, à contourner les murs et les difficultés rencontrées ou encore à participer efficacement aux réunions en étant à l’écoute, en argumentant avec pertinence…, donne en exemple Sarah Leroy, directrice juridique, fiscal et compliance chez Tereos et administratrice de l’AFJE. Vous pouvez aussi espérer une meilleure coopération et un meilleur service rendu aux opérationnels et à la direction. »
Chaque action impacte le niveau d’influence sur votre entourage professionnel. Votre image dépend de la réponse apportée aux attentes des clients internes. Or, « en termes d’image, nous avons une belle marge de progression devant nous », constate Sarah Leroy. Si les juristes d’entreprise sont souvent perçus comme des experts, des pompiers, et même des business partners, des termes moins valorisants, comme empêcheur de tourner en rond, rigidité, lenteur, prise de tête ou encore éminence grise, leur collent encore à la peau.
QUATRE BESOINS À COMBLER
Pour améliorer votre image et gagner en influence, il est donc nécessaire de coller au mieux aux attentes des clients internes. Leurs besoins sont de quatre ordres :
- La confiance qui est basée sur un accompagnement sur-mesure, des compétences techniques et relationnelles et le respect de la confidentialité.
- La sécurité qui passe par l’anticipation et la gestion des risques. Par ailleurs, la direction générale attend que ses juristes soient capables d’appréhender les problématiques dans leur ensemble, avec une vision globale des enjeux.
- L’efficacité qui repose sur le pragmatisme, la simplicité, la créativité, la disponibilité ou encore la réactivité. « Le client interne a besoin que vous parliez son langage mais aussi de visibilité sur les délais que vous êtes capable de tenir », souligne Sarah Leroy.
- Des solutions, de l’aide à la prise de décision à la négociation, jusqu’à la prise en charge totale de la responsabilité.
« Pour combler ces besoins, trois axes peuvent être travaillés : en concevant et en exprimant des arguments qui portent, en arrivant à peser dans les décisions, en créant l’adhésion et obtenant de la reconnaissance », liste Isabelle Eray, consultante-formatrice et coach certifiée au sein de Ratione Personae.
LES SIX COMMANDEMENTS D’UN JURISTE INFLUENT
Voici quelques bonnes pratiques et bons comportements qui vous permettront d’atteindre ces objectifs !
- Vous serez positif et constructif
Commencez par abandonner les formulations et expressions négatives. « C’est un reproche régulièrement adressé aux juristes d’entreprise, déplore Isabelle Eray. Le "non" est à bannir absolument. Adoptez des tournures de phrases positives porteuses d’une solution. Pensez également à maîtriser votre posture corporelle car, elle est en dit bien plus long que votre discours ! » En effet, saviez-vous que seulement 7 % de l’efficacité d’un message est portée par les mots formulés ? Selon la règle des "3V" du chercheur et professeur en psychologie américain Albert Mehrabian, la communication orale repose à 55 % sur la communication non-verbale (gestuelle, expression du visage, posture corporelle), à 38 % sur le canal vocal (intonation de la voix, rythme, silences…) et donc seulement à 7 % sur le contenu du message en lui-même.
- Vous ferez simple, efficace et compréhensible
Le droit est complexe, surtout pour les non-initiés. Alors autant que faire se peut apportez à vos clients internes une grille de lecture simplifiée, expurgée des détails qui n’intéressent au final que vous. Sarah Leroy ajoute : « il est inutile de présenter le raisonnement juridique qui vous a mené à une solution. Encore moins en l’étayant de termes techniques et jargonneux. Allez à l’essentiel. Il faut savoir lâcher sur la perfection quand c’est nécessaire. » Dans vos échanges avec la direction, prenez le soin d’envisager la situation au regard de la stratégie de l’entreprise. Une solution juridique doit tenir compte des enjeux globaux de l’entreprise.
- Vous adopterez la posture d’un "consultant interne"
Osez questionner pour clarifier les objectifs et les besoins. « L’écoute et le questionnement sont les bases d’un bon accompagnement », estime Sarah Leroy. Restituez des écrits visuellement structurés : une page de synthèse avec quelques bullet points accompagnée d’une note plus technique mais claire et compréhensible. « Toujours avoir le réflexe de chiffrer, que ce soit les économies réalisées, les pertes évitées, la valeur ajoutée, conseille Sarah Leroy. Illustrez visuellement les informations : par exemple, vous pouvez matérialiser les solutions apportées au moyen d’une matrice de Swot (forces, faiblesses, opportunités et menaces). » Pensez au legal design : parfois une infographie, un schéma ou encore un tableau valent tous les discours !
- Vous chercherez à mieux comprendre vos clients internes
Mettez-vous à la place de votre interlocuteur et demandez-vous quel peut-être son besoin et quelles informations sont nécessaires à sa prise de décision. Adoptez une stratégie d’acceptation de l’opérationnel, de ses problématiques, de ses difficultés à exprimer ses besoins… « La reconnaissance passe aussi par celle que l’on donne aux autres », commente Sarah Leroy. Donnez ce que vous voulez recevoir !
- Laissez-vous inspirer pour mieux inspirer.
« Sortez de votre bureau !, s’exclame Sarah Leroy. Il n’y a rien de tel pour mieux comprendre les opérationnels. Accompagnez-les sur le terrain, partagez leur quotidien, leurs enjeux, leurs problèmes… Cela rapproche et permet de créer un sentiment d’appartenance à un même collectif. » Ce qui ne peut être que bénéfique pour le futur de la relation et instiller le réflexe juridique. Un bon point pour espérer être intégré dès le démarrage des projets. Pensez également aux alliances, tant en interne qu’en externe, et travaillez votre réseau. « Les alliances consistent à trouver des services qui partagent vos objectifs et en capacité de soutenir vos messages mais aussi des tiers externes qui peuvent porter les messages complexes, difficiles », précise Sarah Leroy.
- Vous communiquerez plutôt deux fois qu’une
Ne ratez aucune occasion de mettre en valeur les résultats de votre direction juridique, au besoin à l’aide de quelques outils. « La communication et le marketing de la fonction juridique sont aujourd’hui incontournables, estime Sarah Leroy. Restez simple dans vos messages mais communiquez ! »
- Vous vous libérerez du temps
Toutes ces nouvelles postures et actions nécessitent de vous dégager du temps par ailleurs. Dans cette optique, l’industrialisation des services juridiques est une piste à explorer. Pour gagner du temps sur les dossiers, commencez par identifier les tâches reproductibles et automatisez les contours des réponses. Les bénéfices de la digitalisation ne sont plus à démontrer !