Legal privilege à la française
Le 7 mars dernier, quelques semaines avant l’arrivée de la proposition de loi sur la confidentialité des avis des juristes d’entreprise à l'Assemblée nationale, l'AFJE, le Cercle Montesquieu et l’ANJB (Association nationale des juristes de banque) ont organisé un débat passionné et passionnant sur l'instauration du legal privilege à la française. Morceaux choisis.
Jean Terlier, député du Tarn
« Le legal privilege est devenu impératif, j’en suis convaincu. Face aux boucliers encore levés, il est nécessaire d’apaiser les craintes des avocats et des autorités indépendantes. De garanties, de nature à les rassurer, sont apportées par le texte déposé, comme par exemple l’exclusion du pénal et du fiscal du champ de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise ou encore la procédure de levée de la confidentialité dans le cadre d’un litige commercial ou civil ou d’une procédure menée par une autorité administrative indépendante.
Les débats à l’Assemblée nationale sont riches et mouvementés, mais nous devons arriver à convaincre sur le fond. »
Jean-Benoît Devauges, directeur juridique, éthique, gouvernance & RSE du Medef
« Le Medef est très clairement favorable à tout dispositif qui remédierait à l’absurdité de la situation et limiterait la vulnérabilité des entreprises dans le cadre de contentieux américains ou d’enquêtes des autorités américaines. Dans un contexte où le droit est devenu une arme, les compétiteurs doivent pouvoir lutter à armes égales. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En outre, la mise en conformité des entreprises suppose une liberté de communication de la part des juristes d’entreprise. Pour toutes ces raisons, le Medef attend avec impatience la reconnaissance du legal privilege à la française. »
Raphael Gauvain, avocat et ancien député
« Dans le rapport Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale, que j’avais remis Premier ministre, en juin 2019, j’avais retenu la
solution de l’avocat en entreprise. Mais, finalement ce niveau de protection n’est pas nécessaire : le legal privilege à la belge est en effet reconnu par les autorités américaines. Le legal privilege est la solution à mettre en oeuvre pour protéger nos entreprises et notre souveraineté, le plus rapidement possible. »
Noëlle Lenoir, avocate, ancienne ministre et membre du Conseil constitutionnel.
« Nous avons cinq siècles de retard sur le Royaume- Uni ! Les juristes d’entreprise britanniques ont acquis le legal privilege grâce à la jurisprudence au XVIe siècle. Les Britanniques considèrent que le legal privilege est un droit fondamental du client et de l’employeur, pour pouvoir disposer du meilleur avis possible. Le droit est porteur de valeurs et un vecteur de sécurité.
Accorder le legal privilege revient à prendre le droit au sérieux. L’absence de legal privilege est vraiment préjudiciable pour les entreprises et pour la filière
juridique française dans son ensemble, car il favorise la pratique du forum shopping, car il porte atteinte au droit à un procès équitable. »
Emmanuel Raskin, avocat, président national de l’ACE - Avocats Ensemble.
« Je suis avocat et favorable au legal privilege tel qu’il a été défini… et pourtant je ne suis pas malade ! Le rejet de ce dispositif par un pan de la profession relève de la peur et de l’irrationnel. Le secret professionnel de l’avocat, qui est absolu et d’ordre public, n’en sortira pas affaibli car le legal privilege est radicalement différent. La confidentialité ne concernera que les consultations juridiques et quelques
actes périphériques. Par ailleurs, l’entreprise pourra s’affranchir de cette confidentialité si elle souhaite. Si unjuriste d’entreprise abuse de la mention de confidentialité, pourra être sanctionné. Plutôt que de nous opposer, nous devrions avancer main dans la main. »
Herman Van Hecke, KBC Groupe, vice-président IBJIJE (Instituut voor bedrijfsjuristen - Institut des juristes d'entreprise).
« En France, les juristes d’entreprise sont là où les juristes d’entreprise belges en étaient il y a 30 ans ! Nous avons rencontré les mêmes oppositions lorsque nous avons cherché à obtenir la confidentialité de nos avis juridiques internes. Aujourd’hui, les relations avec les avocats sont apaisées. L’an passé, nous avons même réussi à renforcer notre loi fondatrice du 1er mars 2020. La réforme consacre ce qui est admis depuis longtemps dans la jurisprudence : les avis rendus par un juriste d'entreprise, membre de l’IJE, sont confidentiels et ne peuvent être saisis. Cela concerne les avais mais aussi la demande d’avis, la correspondance interne au sujet de la demande, les projets d'avis et les documents préparatoires à l'avis. La loi reconnaît également que les juristes d'entreprise sont compétents pour donner des avis relatifs à l’évaluation de la situation juridique de l'entreprise, ce qui s’inscrit dans la prévention des conflits juridiques et concerne également l'exercice des droits de la défense de l'entreprise. J’ai participé à de nombreux
contentieux aux États-Unis et des procédures de discovery.
À chaque fois, notre legal privilege a été respecté dans les pays anglo-saxons et est considéré comme opposable. À chaque fois ! »
Marie-Anne Frison-Roche, professeure d’université, directrice du journal Regulation and Compliance
« Le droit de la compliance, véritable révolution juridique, se définit par des buts monumentaux (éradication de la corruption, du blanchiment d’argent, des discriminations, etc.) fixés de manière très ambitieuse par les autorités politiques. Pour les entreprises, cela signifie de connaître ses forces et ses faiblesses et de les inscrire dans son plan de vigilance pour mettre en place un plan d’action… Mais quelle entreprise voudrait s’auto-incriminer en révélant ses faiblesses ? C’est pourquoi il est absolument impératif, pour la réussite même du droit de la compliance, que les avis juridiques puissent être protégés par le sceau de la confidentialité. »
Patricia Gendelman, déléguée régionale AFJE Midi-Pyrénées, directrice juridique de Pierre Fabre.
« L’absence de protection de nos avis pose un problème évident dans nos relations, et plus particulièrement dans nos contentieux, avec les États-Unis. Dans la mesure où nous ne sommes pas dotés des mêmes armes, nous sommes obligés de trouver des subterfuges. Quel archaïsme ! Quel décalage avec la réalité ! Nous sommes désavantagés, car nous ne pouvons pas échanger librement avec nos dirigeants. En outre,
nous travaillons très étroitement avec nos avocats au quotidien. J'ai la naïveté de penser que plus les directions juridiques et les juristes d'entreprise seront valorisés, plus nos collaborations avec les avocats seront fortes. Il n’est pas question de se substituer l’un à l’autre, nous avons besoin les uns des autres ! »