Interview de D. Restino (CCI Paris IDF)
Propos recueillis par Florence Leandri
Quels sont les liens entre la CCI Paris IDF et l’AFJE ?
Dominique Restino : L’AFJE et la CCI Paris IDF mènent, de longue date, des actions conjointes dans la défense des intérêts des entreprises les conduisant à la
diffusion de publications communes ou à l’organisation de manifestations sur de nombreux thèmes : protection du secret des affaires, développement de la RSE, statut du lanceur d’alerte...
Nous oeuvrons par ailleurs à l’attractivité de la place juridique de Paris au sein de l’association Paris Place de droit, présidée par Frank Gentin, et dont nous sommes, avec l’AFJE, deux des membres fondateurs. Montée en puissance de la médiation, poids actuel et potentiel de la place juridique de Paris ou collaboration avec l’AFJE : Dominique Restino, président de la CCI de Paris Île-de-France, livre son regard sur différents sujets intéressants particulièrement les juristes d’entreprise.
Soutenez-vous le principe de la confidentialité des avis juridiques des juristes d’entreprise ?
Dominique Restino : C’est l’un des sujets sur lequel nous soutenons l’action de l’AFJE. Alors que la France est l'un des derniers pays dans lequel les avis des juristes d’entreprise ne sont pas protégés, reconnaître leur confidentialité est essentiel pour nos entreprises qui peinent parfois à se défendre contre des actions judiciaires extraterritoriales engagées par des concurrents ou par des autorités étrangères.
Nous plaidons donc pour un legal privilege à la française protégeant les avis juridiques des juristes d’entreprise. Une telle évolution renforcera, de surcroît, l’attractivité économique et juridique de la France.
Les MARL ou modes alternatifs de règlement des litiges ont-ils le vent en poupe auprès des entreprises ?
Dominique Restino : La médiation a pour objet de parvenir à un accord amiable entre les parties, grâce à l’intervention d’un tiers qualifié qui va accompagner les parties dans la recherche
de solution, la médiation peut se définir comme de la négociation assistée par un tiers. À la différence de l’arbitrage, qui consiste à trancher le litige par une sentence qui, comme un jugement, s’impose aux parties. L'arbitrage est pratiqué depuis longtemps par les entreprises qui y ont recours, notamment dans le cadre de contrats internationaux, pour ne pas être contraints de voir leurs
litiges tranchés par des juridictions étrangères, dont ils ne connaissent ni les règles de droit et les procédures applicables, ni la langue. L'arbitrage est également pratiqué dans des litiges nationaux, pour préserver la confidentialité des dossiers. La médiation est un processus moins connu mais qui commence à prendre ses marques.
On peut dire en effet que les MARL ont le vent en poupe auprès des entreprises, surtout depuis la période Covid. Lorsque l'on sait qu'une procédure judiciaire peut durer jusqu' à trois ans, les MARL offrent des solutions souples et fiables adaptées à la vie économique qui se doit d'être réactive. Les avantages sont nombreux : gain de temps, maîtrise des coûts, confidentialité des échanges.
Quels sont les atouts de la médiation pour les entreprises ?
Dominique Restino : Le baromètre 2023 du CMAP (Centre de médiation et d'arbitrage de Paris, voir encadré), comme ceux des années précédentes met en lumière les atouts des MARL dont la rapidité de la médiation avec une durée moyenne de 14 h, alliée à un coût moyen de 7 000 € et à un taux de réussite de près de 70 % des dossiers. L’efficacité de l'arbitrage ressort aussi du baromètre car il permet aux
entreprises de disposer d'une sentence en 10 mois, avec des honoraires d'arbitre raisonnables. La médiation permet de plus de réduire l’aléa judiciaire, puisque ce sont les parties qui vont trouver une solution à leur litige, de pérenniser les relations contractuelles (avec les clients, fournisseurs, salariés, partenaires ...) et de s’assurer du respect de la confidentialité, qui est une préoccupation essentielle dans le monde des affaires. La médiation offre de réels atouts, sans aucun risque pour les entreprises, car en cas d'échec, elles ont toujours l'option de recourir aux tribunaux.
Selon vous, quelles mesures seraient susceptibles de développer le recours à la médiation (conventionnelle ou judiciaire) ?
Dominique Restino : Ces dernières années, les pouvoirs publics encouragent le recours à la médiation et aux MARL avec, par exemple, la création récente du Conseil national de
la médiation qui, sous l’égide du ministère de la Justice, a notamment pour mission d’encadrer le processus de médiation par la déontologie et la formation des médiateurs. Ces initiatives contribuent à faire mieux connaître la médiation et favoriser davantage une culture du consensus plutôt que du contentieux. Pour les entreprises, une meilleure sensibilisation des juristes d'entreprise à la médiation et aux MARL contribuerait à son développement. Il faut former les juristes pour qu'ils puissent insérer des clauses de médiation dans les contrats, ce qu'ils font encore peu aujourd'hui, parce qu'ils ne maitrisent pas le processus.
Comment jugez-vous le rayonnement de la place juridique de Paris ?
Dominique Restino : Au-delà de sa fonction de régulation de la société, le droit est aussi une activité économique à part entière qui, à l’échelon national, pèse presque 2 % du PIB et représente plus de 360 000 emplois. Et, bien évidemment, une bonne partie de cette activité est exercée à Paris. S’agissant du rayonnement de la place juridique de Paris, je regrette qu’il ne soit pas encore à la hauteur des atouts de notre capitale. Alors que Paris peut se prévaloir d’une longue tradition juridique, que notre Code civil a exercé une influence considérable en Europe et sur d’autres continents, la place de Paris ne s’est jamais donné d’objectifs ambitieux à l’international. Or, nous disposons d’un écosystème extrêmement favorable avec une justice indépendante et hautement qualifiée, un barreau riche des plus grands cabinets français et internationaux et un ensemble de professions (auxiliaires de justice, officiers ministériels, universitaires…) très compétent et diversifié, le tout au sein de l’espace judiciaire européen.
Quelles mesures seraient susceptibles de renforcer son attractivité ?
Dominique Restino : Malgré ces avantages, nous constatons que l’enjeu judiciaire est peu considéré par nos entreprises. Les plus performantes doivent donc mieux mesurer les opportunités qu’il y a à choisir la compétence de Paris dans les contrats internationaux et à faire de cette préférence un enjeu. Paris n’occupe par ailleurs qu’une place accessoire dans les organisations internationales spécialisées (à la différence des Anglo-Saxons). Pourtant, l’international en matière judiciaire n’est pas qu’une affaire de coopération mais aussi une compétition au sein duquel nous devons être actifs alors que les zones de droit dans le monde ont, très malheureusement, tendance à régresser. En ce sens, et comme cela a été fait, de manière efficace, en matière d’investissements étrangers, la manifestation d’une volonté politique soulignant l’intérêt que nous attachons au développement de Paris, place de droit, ne peut que contribuer à sa réussite.
crédit photo : X.Renauld / CCI Paris Ile-de-France
Bilan après près de 30 ans d'activité du CMAP Fondé en 1995 sous l’impulsion de la CCI Paris IDF, « le CMAP a réussi en 30 ans à imposer la médiation comme une vraie alternative au contentieux, que ce soit pour des petits litiges ou pour des conflits à très forts enjeux portant sur des centaines de millions d'euros. Il offre également un arbitrage de grande qualité à des coûts maitrisés pour toutes les tailles d'entreprises » estime Dominique Restino. En chiffres, le CMAP c’est, chaque année, près de 400 dossiers de médiation commerciale et 2 000 saisines de médiation de la consommation, une vingtaine d'arbitrages et 10 programmes de formation proposés à plus de 400 participants par son centre dédié, lnstitut 131. |