Conférence AFJE Réforme du Droit des contrats
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L'association française des juristes d'entreprise (AFJE) a récemment organisé une matinée consacrée à la réforme du droit des contrats en invitant la directrice des affaires civiles et du Sceau, ainsi que d'éminents spécialistes du droit des obligations afin de faire l'exégèse de l'ordonnance prise en février dernier. Cet «état de progrès de notre droit des obligations absolument incontestable» est un nouveau défi pour le juriste avec des avantages comme des inconvénients.
Carole Champalaune, directrice des affaires civiles et du Sceau (DACS), cordialement invitée par le groupe de travail ad hoc de l’AFJE sur la réforme du droit des contrats, présidé par un administrateur de l’association Maurice Bensadoun, a commencé par confirmer que l’ordonnance votée en conseil des ministres le 10 février dernier portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, entrera en vigueur le 1er octobre.
« Nous avons l'impression d'être à une étape extrêmement importante », s’est-elle exprimée en rappelant qu’il s’agit d’« une année très dense pour boucler cette réforme historique », et en saluant la « formidable mobilisation » de tous les acteurs juridiques et économiques.
De fait, pour mener à bien ce projet de codification de la jurisprudence et de modernisation du droit des contrats, l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira, confiait l’an dernier aux élèves de Sciences Po Paris qu’elle suivait les bons conseils de Confucius. « Je ne cherche pas à connaître les réponses mais à comprendre les questions. » Carole Champalaune (photo au micro, à coté d'Anne-Laure Gaudillat) rapporte ainsi que les consultations et contributions, dont celle de l’AFJE, ont été très nombreuses, « plus de 4000 pages au total ! » Le droit des obligations étant utilisé quotidiennement dans le monde des affaires français, il paraît logique que toute la communauté économique se soit associée au projet.
Maurice Bensadoun a d’ailleurs tenu à souligner l'écoute et l'attention que l'AFJE a reçues de la part de Madame Champalaune et son équipe depuis l’an dernier.
« Nous avons six mois pour transformer l'essai », a-t-elle précisé en abordant le calendrier des suites de la réforme. Ainsi, la chancellerie a six mois pour déposer un projet de loi de ratification au parlement, mais le débat parlementaire n’aura certainement lieu qu’en fin d’année. Pour le moment, il manque toute une partie de la réforme qui concerne le droit de la responsabilité civile car seul le droit des contrats a été traité. D’ailleurs, le président de la République vient d’expliquer à la nouvelle promotion des auditeurs de justice à Bordeaux que le même mécanisme de codification de la jurisprudence et de consultation de la communauté juridique et économique intéressée sera utilisé. En outre, le délai d’appel à contribution sera plus long que pour le droit des contrats.
Après avoir donné les principaux éléments de présentation de la réforme qui compte un peu plus de 370 articles rénovant le code civil, Carole Champalaune a vivement conseillé aux juristes de lire le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance, « plus nourri qu'un rapport classique sur une ordonnance, pour expliciter autant que faire se peut, la portée de ses dispositions ».
Les parlementaires modifieront-ils les travaux de la chancellerie ?
Dans l’audience, une juriste soucieuse s’interroge sur la stabilité des dispositions contenues dans l’ordonnance. Guillaume Meunier (photo à gacuhe de Barthélémy Mercadal) de la Direction des affaires civiles et du Sceau, répond que même si les débats parlementaires ont été assez vifs quant au choix de la voie d'ordonnance - le président de la commission des lois du Sénat la qualifiant de « législation de chef de bureau » - le texte ne sera vraisemblablement que peu modifié par le parlement.
Les juristes devront toutefois redoubler d’attention pendant la période de débat parlementaire. « Si le parlement modifie le texte, l’enjeu essentiel pour le praticien sera l’articulation entre l’entrée en vigueur de l’ordonnance et celle de la loi de ratification. Au départ, j’étais persuadé qu’on aurait une date d’entrée en vigueur beaucoup plus éloignée (juillet 2017, ndlr), ce qui offrait un calendrier permettant de boucler les travaux parlementaires avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance et d’avoir un droit des contrats stable et fixe.» Malheureusement, les considérations politiques prévalent sur la logique et l’efficacité légistique.
Cela laisse toutefois l’opportunité aux juristes de faire du lobbying auprès des parlementaires sur les dispositions de l’ordonnance qui les dérangent, à l’instar de l’obligation d’information.
Une réforme entre continuité et innovations
Pour la directrice des affaires civiles et du Sceau, cette ordonnance de réforme est principalement le fruit d’« un travail de consolidation et de codification de la jurisprudence ». Ainsi, la réforme reconnaît l'enrichissement injustifié, la réticence dolosive, la violence économique, définit la force majeure, le devoir d’information, le déséquilibre significatif....
L’ordonnance consacre surtout la reconnaissance des grands principes de droit français que sont la liberté contractuelle et la bonne foi.
S’il y a donc consolidation « à hauteur de 80 % », les 20% restants représentent de véritables innovations juridiques, à l’instar de la disparition de la cause, de la révision pour imprévision, de la définition des clauses abusives, ou de la force des négociations dans l’avant-contrat. Carole Champalaune s’est d’ailleurs attardée sur ce dernier point, qualifiant la confidentialité entourant les pourparlers contractuels de très importante pour les juristes d'entreprise.
Une autre innovation pratique, selon elle, se trouve dans les actions interrogatoires qui ont pour objet de mettre fin à des situations incertaines en faisant appel au juge (applicable dans les domaines du pacte de préférence, de l’étendue des pouvoirs du représentant, et dans l’action en nullité).
La directrice des affaires civiles et du Sceau achève son propos sur la réforme en matière de preuve, avec l'arrivée de la force probante de la copie numérique fiable et la consécration de l'acte sous seing privé contresigné par l'avocat.
« Nous sommes dans un moment que Madame Champalaune qualifie d'historique, mais ce n'est pas un bouleversement total puisque c’est un changement dans une grande continuité », souligne Anne-Laure Gaudillat, membre de l’AFJE et de la direction juridique d’Armines. Pour la juriste, les véritables nouveautés introduites dans la réforme sont :
- la nouvelle numérotation des articles « il va falloir tout réapprendre ! », certains craignent ce bouleversement (simple passage des articles 1382 et suivants à 1240 et suivants), #jesuis1382 circule sur les réseaux sociaux ;
- les nouvelles définitions du contrat et de ses différents types, de la novation et du paiement ;
- le déroulé chronologique des dispositions du code civil (formation, vie et mort du contrat) ;
- la nouvelle terminologie (la cause disparaît ainsi que la convention, la confidentialité apparaît, on ne parlera plus de responsabilité délictuelle mais de responsabilité extra-contractuelle…) ;
- la possibilité d'utiliser l'action interrogatoire à partir du 1er octobre ;
- l’évolution de la caducité du contrat et de la cession de contrat ;
- la révision pour imprévision ;
- la valeur probante de la copie fiable « important en pratique » ;
- la codification de l'exception d'inexécution du contrat et d'inexécution préventive.
Anne-Laure Gaudillat attire aussi l'attention de ses pairs sur l’évolution du devoir d'information - notion née en droit de la consommation que l'AFJE estime non adaptée à l'entreprise – et souhaite que la chancellerie précise ce qu'est « l'ignorance légitime » en droit des affaires. Idem pour la notion d'abus de dépendance, donc de violence économique. L'AFJE avait demandé qu'elle soit objectivée et limitée puisque cette dépendance économique est inhérente à la vie des affaires.
Ce qui retient l’attention du professeur de droit Barthélémy Mercadal est l’arrivée de la théorie de la révision pour imprévision. Pour le professeur émérite, le problème de l'ordre public international dans le droit des obligations est fondamental. « A mon avis, on peut essayer de faire un exercice pratique avec le texte sur l'imprévision ajouté dans l'article 1195 ». Selon lui, cet article ne sert à rien car va à l'encontre de l'objectif du droit des obligations (liberté des parties grâce au consensualisme). Pire, les contractants de mauvaise foi peuvent frauder la loi en utilisant ce recours particulier au juge.
À l’évidence, ce qui concerne les praticiens est la redéfinition des rôles par cette réforme du droit des contrats. Le point positif est qu’elle vient renforcer la place du juriste d’entreprise dans le monde des affaires. Toutefois, certains experts font part de leur vive inquiétude quant à l’immixtion du juge dans ce monde particulier.
Un renforcement de la place du juriste d’entreprise
Edouard Simon, juriste chez Airbus en fin de thèse sur les affaires européennes et membre actif du groupe ad hoc de l’AFJE sur la réforme, estime que cette matinée est un premier effort de pédagogie qui fait « œuvre utile » pour expliquer les tenants et aboutissants d’une « réforme du droit des contrats qui vient renforcer la place du juriste d'entreprise ».
Le juriste aujourd'hui est trop souvent perçu comme une fonction support et non comme un business partner, alors qu'il est porteur d'une véritable plus-value stratégique, commerciale et industrielle selon lui. Cette vision commence doucement à évoluer. En outre, de plus en plus de juristes siègent dans les conseils d'administration des entreprises.
Edouard Simon explique que la place du juriste est renforcée par l’évolution du rôle du juge et de l'action judiciaire. Par exemple, la nullité du contrat pourra être constatée d'un commun accord des parties, et plus uniquement par le juge. Toutefois, cet effort de déjudiciarisation n'a pas pour effet de léser les parties de leurs droits et de leur responsabilité contractuelle. En outre, il y a un vrai apport pratique pour le juriste dans les nouvelles sanctions de l'inexécution du contrat. Les nouveaux articles 1219 et 1220 du code civil consacrent l'exception d'inexécution et l'exception d'inexécution par anticipation. Le professeur Mekki soulève toutefois que cela risque de poser des problèmes d'ordre probatoire. Comment prouver que la partie adverse n'a pas l'intention d'exécuter le contrat ? Enfin, le créancier a la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat par voie de notification, ce qui donne aussi du pouvoir au juriste.
La place du juriste est aussi renforcée par rapport au juge car le texte impose la négociation comme modalité de résolution des conflits, hormis le cas particulier de la révision pour imprévision. « Sans parler du fait que la rédaction des contrats en est renforcée », ce qui place, pour Edouard Simon, le juriste comme « cocréateur de la norme contractuelle » et « minimiseur de conflits ». Cette réforme devrait selon lui avoir pour effet d'inciter les dirigeants d'entreprise à inclure les juristes dans la négociation des contrats dès leur formation et dans la gouvernance de l’entreprise.
Les juristes d’entreprise ont saisi l’enjeu de la réforme selon Maurice Bensadoun puisqu’ils sont plus de 14 000 à s’être inscrits au MOOC sur la formation à la réforme du droit des contrats animé par Bruno Dondéro et l’AFJE. De façon pragmatique, l’administrateur de l’AFJE conseille à ses confrères de revisiter en urgence les conditions générales d'achats et de ventes des contrats de leur entreprise, surtout pour les juristes qui travaillent dans le BtoC.
Une ingérence du juge qui inquiète
« L'intervention du juge dans les affaires des entreprises m'inquiète beaucoup », s’est exclamé Jean-Pierre Martel associé fondateur du cabinet Orrick Rambaud Martel. Alexis Marraux des Grottes, son associé, a établi une synthèse du rôle du juge dans la réforme. « Hier, le juge ne devait qu'interpréter et arbitrer les parties, aujourd'hui, il doit s'immiscer dans le contrat. » Ce qui est nouveau et important est la possibilité pour le juge de réviser le contrat ou d'y mettre fin en cas d'imprévision, de clauses abusives (limité aux contrats d'adhésion) et de clauses pénales. Le magistrat peut aussi avoir une intervention indirecte par le biais de son interprétation du contrat (objet, effet des clauses…) et de la loi (devoir précontractuel d'information, bonne foi, violence économique). En revanche, certains mécanismes écartent le juge et déjudiciarisent la résolution du conflit pour une plus grande efficacité économique du contrat, à l’instar de la suspension par anticipation et de la réduction du prix. Pour l’avocat, il faut tout de même que les juges se forment à la vie des affaires.
L'immixtion potentielle du juge dans la vie du contrat, « que l'AFJE trouve regrettable » selon Anne-Laure Gaudillat, fait polémique. Ainsi, le professeur Barthélémy Mercadal ne comprend pas pourquoi le législateur donne au juge « ce pouvoir discrétionnaire, qui est une sorte d'excès de pouvoir ». L'ordonnance n'est pas parfaite puisqu'elle naît de nombreux compromis, mais c'est « un état de progrès de notre droit des obligations absolument incontestable » pour Jean-Pierre Martel. Plutôt optimiste sur cette réforme qu’il salue « dans un pays où il est si difficile de réformer », l’avocat rompu qualifie toutefois l'intervention du juge comme son « facteur d'insécurité majeur ». Cette ingérence vient contredire le principe de consensualisme selon lui. « Je suis extrêmement inquiet ». Comment le juge pourrait-il juger mieux que les acteurs eux-mêmes de l'équilibre de leurs relations ? L'avocat rompu conseille à ses clients de ne pas en arriver au judiciaire « car cela nous échappe » et que « le délai de jugement est un facteur qui tue l'entreprise ».
Pour en savoir plus : http://www.affiches-parisiennes.com/droit-des-contrats-une-reforme-qui-renforce-le-juriste-d-entreprise-6153.html#ixzz46M4qrRKJ
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